Les universitaires britanniques en grève : « fair pay now ! »

17 Février 2014



Jeudi 6 février, les employés et professeurs universitaires britanniques étaient une nouvelle fois en grève au niveau national pour protester contre une hausse des salaires insuffisante. Dans le collimateur des grévistes, les dirigeants des universités. Ceux-ci s'estiment incapables d'accorder une hausse salariale supérieure à 1%. Le point sur le blocage.


© Morgane Heuclin-Reffait/Le Journal International
© Morgane Heuclin-Reffait/Le Journal International
9 heures, devant la salle K 2.31 de King's College Strand Campus : les lumières sont éteintes, les sièges inoccupés, le professeur absent. À travers tout le Royaume-Uni, beaucoup d'entre eux le sont. C'est le troisième jour complet de grève depuis fin octobre 2013, auxquels il faut ajouter les journées marquées par deux heures de grève se déroulant ponctuellement. L'ensemble du personnel universitaire, académique ou non, réclame la hausse des salaires et l'application de ce qui est connu outre-Manche comme le « living wage ».

Le système universitaire anglais diffère par plusieurs aspects de son équivalent français. Ce qui est ici nommé « université » correspond à un regroupement de plusieurs établissements, eux-mêmes désignés comme « colleges ». La tendance est donc à la centralisation, et il en va de même pour la direction du personnel. Les salaires des professeurs, bibliothécaires ou encore techniciens sont le fruit des négociations entre les syndicats et l'Association des Employeurs de Colleges et Universités (UCEA)... Dans l'optique où celles-ci aboutissent ! Les négociations menées entre mars et mai derniers ont révélé l'incompatibilité flagrante entre les attentes des syndicats et la proposition d'une hausse des salaires de seulement 1%, alors que ces derniers n'ont pas suivi le cycle de l'inflation depuis 2009. Dans un document officiel, l'UCEA invoque la diminution de son financement par l’État au niveau national : en Angleterre, les fonds dédiés uniquement à l'enseignement ont diminué de 25% rien qu'entre l'année scolaire 2012-2013 et 2013-2014.

L'inflation qui s'élève en moyenne à 2,2% sur 2013 - après avoir connu des pics allant jusqu'à 5% suite à la crise de 2008 - a eu un impact considérable sur le niveau de vie dans le pays. « L'étranglement financier » de certains ménages est encore plus important dans des villes comme Londres. Les syndicats mettent par conséquent en avant l'insuffisance de la hausse accordée, puisque les salaires ont depuis 2009 baissé de 13% en valeur, en raison de la hausse des prix. Polly Penter, conseillère des étudiants internationaux à King's College London et membre du syndicat UNITE, insiste sur les difficultés financières grandissantes pour les professeurs : « À Londres, le coût de la vie a sérieusement augmenté ces dernières années. Ça devient impossible pour certains professeurs de s'en sortir dans ces conditions ».

Le Graal du « living wage »

De là, découlent également les revendications visant à instaurer du « living wage » pour tout le personnel de l'éducation supérieure. Il n'est pour l'heure qu'un indicateur, désignant le revenu permettant de répondre aux besoins essentiels pour conserver un niveau de vie sain et décent. À ne pas confondre donc avec le « national minimum wage », correspondant au SMIC français et qui s'avère d'ailleurs être plus bas que le « living wage ». En raison des disparités économiques dans le pays, le « living wage » peut donc varier selon la région : son niveau est par exemple plus haut dans la capitale, où il s'élève à 8,80 livres de l'heure, que dans le reste du pays.

Bien que plusieurs figures majeures de la classe politique, toutes affiliations partisanes confondues, soutiennent l'idée, le concept n'en devient pas pour autant une obligation légale. Des entreprises et corps de l’État ont pris l'initiative de l'appliquer, comme la Greater London Authority, mais le concept est loin d'être implanté pleinement dans l'éducation supérieure. À King's College, en dépit d'un engagement pris par l'administration, une part du personnel non académique reçoit toujours un salaire inférieur au « living wage ». Les universités anglaises sous-traitent une partie de leurs personnels, surtout celui affecté aux travaux de ménage et aux activités de surveillance, ce qui leur permet de s'exonérer de leur responsabilité quant aux salaires versés. Il en va de même pour les 36% de travailleurs qui ont un contrat « zéro-heures » ou à durée déterminée, et qui sont donc moins bien protégés.

Les trois journées de mobilisation intersyndicales, rassemblant UCU, UNISON et UNITE, sont un symptôme flagrant de la colère des employés. D'autant qu'en parallèle du refus de la direction d'augmenter les salaires, les présidents des plus grandes universités britanniques se sont vus verser des sommes considérables. Le salaire annuel de Craig Calhoun, directeur de la London School of Economics, s'est ainsi élevé sur l'année scolaire 2012-2013 à 466 000 livres (561 000 euros). La moitié des présidents d'universités percevraient d'ailleurs plus de 242 000 livres (291 000 euros) par an. Point de comparaison révélateur, David Cameron ne reçoit sur la même période « que » 142 500 livres (171 000 euros).

La grogne est d'autant plus intense que les universités anglaises ne sont pas toutes déficitaires. Leurs bénéfices ont même augmenté de 5,2% selon le Times Higher Education. En 2013, l'Institut Pédagogique d’Écosse a calculé que, sur l'ensemble de la région, les universités avaient dépensé 90 millions de livres (108 millions d'euros) en moins que les fonds versés par le gouvernement. Autant dire que les déclarations de l'UCEA sur ses difficultés financières passent mal. L'organisation remet cependant en cause les chiffres avancés par les syndicats. Les hausses de salaire atteindraient en réalité 3% dans la plupart des institutions de l'enseignement supérieur, car la hausse de 1% s'ajouterait aux augmentations ponctuelles et primes offertes à certains employés.

Au terme de cette troisième journée de grève depuis fin octobre, le personnel de l'enseignement supérieur ne perd pas espoir. Pamela Jones, employée à King's College London, souligne notamment le soutien des étudiants, certains étant d'ailleurs présents à ses côtés pour distribuer des tracts d'informations aux passants : « les syndicats étudiants ont été d'un grand soutien. Les élèves dans l'ensemble sont conscients de la pression qui pèse sur les professeurs, donc ils comprennent pourquoi nous sommes en grève ». Une grève qui semble néanmoins jusque-là sans effet. Si l'UCEA se dit toujours ouverte à la discussion, elle maintient cependant qu'une hausse salariale de 1% constitue un plafond indépassable.

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Étudiante à SciencePo Paris obsédée par l'actu sociale. En savoir plus sur cet auteur